dimanche 24 janvier 2010

De Toussaint Louverture à Ngugunhana...

Au mieux, les amateurs du genre se rappelleront d'un titre de Carlos Santana qui portait ce nom (mal orthographié d'ailleurs). Mais pour la plupart d'entre nous, Toussaint Louverture, si la sonorité est bien de chez nous, est un nom proprement inconnu du quidam moyen.

Il mériterait pourtant quelques paragraphes dans nos manuels d'Histoire. Car cet haïtien né esclave à la fin du XVIIIè, eut quand même l'outrecuidance de defaire notre cher Napoléon. Devenu Général, Louverture fut le premier noir à s'ériger contre les colons. Il réussit, jugez plutôt, à faire voter une constitution autonomiste sur l'île dont il était parvenu à se faire élire Gouverneur : la future Haïti. Déporté en France où il finit par mourir, Toussaint Louverture lègua un héritage à ses contemporains, un pays libre nommé Haïti (indépendant depuis 1804).

Si Toussaint était encore des nôtres, il ne laisserait certainement cette représentation se jouer sur son Île, ce spectacle au goût de déjà vu retransmis en HD sur le reste du Globe.

Haïti, nouvelle représentation dans la tournée du "jeu de dupes"

On peut le voir comme ça. Je ne vais pas m'attarder sur la dramatique catastrophe naturelle qui a dévasté le pays. Je pense que nous avons tous été suffisamment horrifiés par les images plutôt racoleuses qu'on nous servait à dîner.

Non, ce qui me choque par dessus tout dans ce drame, c'est cette énième représentation du jeu de dupes... Celle qui se joue à ciel ouvert, au grand jour, sur une scène jonchée de ruines et de membres. Toute la géopolitique est là. Elle se bouscule en Haïti comme on joue des coudes sur les marches cannoises. Chaque pays y va de son émissaire, son cortège d'officiels et autres inutiles, pour se rendre compte de la situation sur place. Ces gens n'ont visiblement pas la tv... Et quand un cadre de Médecins sans Frontières s'insurge sur France Info que son matériel médical survole Port au Prince pendant des heures car les officiels, eux, ont la priorité pour atterrir, je serre les dents pour ne pas tout rendre...

La suite on la connaît, Ngugunhana à sa manière était lui aussi un Toussaint en son époque. Il se passe à peu près la même chose dans son pays.

L'aide au développement... pour qui?

Donnez qu'ils disent. Donnez pour les haïtiens. Traduisez "prenez, prenez aux haïtiens". Le système est bien rôdé. J'y reviendrais certainement dans d'autres posts, avec des anecdotes vécues in situ. Mais la suite est déjà écrite.

Les luttes d'influences vont s'intensifier en coulisses. Un seul objectif, et un seul : être le Maître à bord. Diriger les opérations humanitaires pour mieux amadouer l'opinion internationale, la population locale, et diriger le pays plus tard (et si on évite les exodes massifs c'est bonus). Attirer des fonds pour le développement pour mieux subventionner discréto les fleurons de l'industrie nationale...

Haïti? Une page géopolitique de plus qui s'écrit, la même, rien de plus.

Je finirais par un post assez touchant que j'ai trouvé sur le blog du figaro.

C'est désespérant, on ne peut rien faire quand on est loin de ce désastre, sauf envoyer de l'argent, prier, essayer de sonder pour soi-même et pour autrui jusqu'à quels abîmes le malheur peut enfoncer un individu ou un pays. Haïti vient nous rappeler brutalement certaines vérités que nos sociétés modernes chloroformées ont oubliées : l'existence est tragique et nous ne serons jamais armés pour bien y faire face. Tout au plus pouvons-nous ériger quelques protections, vite balayées.
Tant de victimes et aucun sens à donner à cela. Ça aurait pu être moi, vous, nous. Prions pour qu'elles ne soient pas mortes en vain et qu'il y ait quelque part une miséricorde que nous sommes bien incapables de voir. Que chacun, à la place qu'il occupe dans le monde, si modeste soit-elle, accompagne ces âmes et les survivants traumatisés. Amen.


Paix à ton âme Toussaint Louverture, et aux dizaines de milliers de tes contemporains morts sous les décombres.

3 commentaires:

  1. L'humanitaire, un sujet sur lequel l'on peut voir le verre à moitié vide, ou à moitié plein.

    Sur Haïti, la précipitation de certains états à "occuper le terrain" (Chine en premier lieu) pour profiter à fond de la vague de compassion est effectivement scandaleuse.

    Mais elle ne doit pas remettre en cause le travail que font d'autres organisations, sans lesquelles je pense que le bilan passé et à venir serait beaucoup plus dramatique encore.

    Je rappelle tout de même qu'Haïti n'est pas un enjeu énergétique, ni économique pour le monde. Tout au plus est-il un enjeu d'immigration pour les US (ce qui explique aussi l'ampleur de leur engagement), et de communication pour d'autres en quête de légitimité.

    Ne voir dans l'humanitaire qu'un nouveau cheval de troie des puissants pour s'approprier l'hégémonie planétaire est une vision à mon sens pessimiste, tronquée, et même dangeureuse, car pouvant facilement servir d'excuses à ceux qui ne veulent rien faire d'autre que se recroqueviller sur eux-même (je ne parle de personne en particulier, je précise)...

    Personnellement, j'ai donné un peu d'argent à MSF pour Haïti. Et je pense que j'ai bien fait. Mais ça n'est que mon avis.

    Gab

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  2. Gab, mon post était peut être pas assez clair sur le sujet. Il y a pour moi deux types d'humanitaires. Les technocrates Onusiens qui ont été recrutés sur leur propension à gaspiller beaucoup pour peu de résultats humanitaires. Et les organisations humanitaires de taille plus modeste qui arrivent encore à recruter des volontaires, voire des bénévoles, animés de compassion et d'un véritable dévouement à l'autre.
    Les premiers, s'ils n'endossent pas toujours le rôle du cheval de Troie, s'illustrent bien souvent dans leur inefficacité à gérer efficacement des crises, et des budgets (sans compter que ces organisations servent bien souvent de refuge aux fils de et autres amis politiques qu'on a besoin de ranger au placard). Sans parler des grosses ONG qui sous couvert d'humanitaire viennent convertir la population (et j'en ai prospecté quelques unes in situ, crois moi).
    Les seconds, et MSF en fait partie à mes yeux, sont animés d'objectifs positifs pour la population à qui ils viennent en aide, même s'ils ne sont pas suffisamment bien organisés pour avoir un impact réel dans les crises qu'ils combattent (cf Darfur and Co). Elles ont des actions curatives plus que préventives, et peinent à s'inscrire dans quelque chose de durable. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si ces organisations sont moins visibles lorsque la chasse au don a commencé... Trop petites, moins bien organisées... malheureusement.
    Notes que je ne reproche pas à MSF de s'être insurgé à la radio de l'ordre des choses en Haïti. Bien au contraire. C'est écœurant que du matériel de dialyse, indispensable pour les victimes ayant été comprimés sous les décombres, doive tourner au dessus de Port au Prince pendant des heures parce que des officiels qui viennent débiter des conneries en Haïti ont la priorité à l'atterrissage. Impensable même.
    Quant à dire que leur action en Haïti permettra de réduire le bilan de manière importante, je pense par contre que c'est faire preuve de beaucoup d'optimisme. Tout au mieux, ces organisations alimentent quelques lueurs d'espoir quand un nouveau rescapé est sorti des décombres 11 jours après le séisme. J'aimerai entendre plus de détails sur la prise en charge des survivants, les hôpitaux de campagne, l'accompagnement des urbains qui rejoignent les campagnes, les actions sanitaires, etc.

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  3. Si Haïti n'est pas un enjeu énergétique, elle est tout de même devenu un enjeu médiatique pour la classe politique Française (Je ne m'avancerais pas pour le reste du monde n'ayant pas vraiment approfondi le sujet dans la presse internationale).
    Je trouve pour ma part qu'il est écoeurant (et c'est un doux euphémisme) d'utiliser la misère qu'a entrainé/révélé cette catastrophe humanitaire comme terreau d'une campagne de communication à des fin d'ambitions personnelles.

    Être déçu de l'efficacité et de la gestion des dons faits aux différentes ONG ne rend pas moins valable et admirable l'investissement des bénévoles et personnels sur le terrain. Ce travail reste salutaire dans ce genre de catastrophe. Toutefois il ne faut pas se voiler la face, les ONG on aussi une place dans la géopolitique mondiale. Elle brassent pour certaines de gigantesque sommes d'argent. Et,sans tomber dans la parano, il est illusoire de penser que cette position de pouvoir données au ONG dans leurs manière de dispenser de l'aide au développement et à la reconstruction est ignorée des puissances étatique, industriel ou financières...

    Guillaume

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