vendredi 22 janvier 2010

Maputo, l'Afrique Mosaïque

Pour ceux qui n'auraient pas la chance de connaître cette ville si particulière, je recopie ici une invitation au voyage particulièrement réaliste. J'aurais tout le loisir de venir agrémenter ce blog de mes propres photos et expériences dans les prochains mois. En attendant, ça donne envie nan? ;-)



Certains l’appellent « la New York de l’Afrique ». Mais on lui trouve aussi des airs latins. Capitale du Mozambique, perchée au sud du continent noir et bercée à l’est par l’océan Indien, Maputo mélange insolemment les genres. Elle porte les traces d’un passé colonial, puis socialiste et présente plus d’une facette au voyageur qui s’y arrête. La plupart des routards y font juste étape avant de filer vers les plages du Sud. Elle mérite pourtant plus qu’une halte.

Avenues Karl Marx et Hô Chi Minh
Elle a le regard tourné vers la mer, vers l’avenir. Mais Maputo a aussi un lourd passé à oublier : des années de colonialisme et de guerre civile. Aujourd’hui, elle montre les yeux rieurs d’une ville qui a repris le dessus et qui porte l’économie d’un pays classé parmi les plus pauvres du monde. L’ancienne Lourenço Marques, du nom du navigateur portugais qui, un jour de 1545, a jeté l’ancre dans sa baie, est une capitale moderne. Érigée sur une falaise, elle surplombe l’océan Indien, fière de son dynamisme retrouvé. La guerre n’est pourtant pas loin : 1992 en a marqué la fin. Une guerre civile qui, pendant dix-sept années, a opposé le gouvernement à l’idéologie marxiste du Frelimo au Renamo, parti de la Résistance nationale mozambicaine. Son passé communiste, Maputo ne le renie pas. Les noms de plusieurs de ses avenues y font clairement référence : Mao Tsé-Toung, Karl Marx, Hô Chi Minh, Vladimir Lénine, ou encore Eduardo Mondlane, père spirituel du Frelimo. Mais la ville, reconnaissante, n’a pas effacé non plus la mémoire d’autres peuples ou héros qui ont forgé son identité : la rue Marques de Pombal ravive ainsi le souvenir du Portugal, ancien colonisateur ; l’avenue Kwame Nkrumah honore ce chantre du panafricanisme.

Désordres architecturaux

Les longues artères rectilignes, presque toutes bordées d’arbres, flamboyants ou acacias, quadrillent l’espace. Trop stricte, Maputo ? Certainement pas. Car à la rigueur de cette invariable linéarité, ses habitants ont opposé au fil des ans d’autres désordres, tout aussi permanents. Architecturaux, d’abord. Au centre, des gratte-ciel, fils de la révolution capitaliste en marche, côtoient les immeubles de béton grisâtres, construits à la va-vite du temps de l’urbanisation rampante. Sans réelle transition, les beaux restes de la colonisation se laissent découvrir, au détour d’une rue : la gare ferroviaire, aux couleurs vert pastel et aux structures en fer forgé intactes, en est un des meilleurs exemples. Le bâtiment a été construit en 1910 d’après les plans de Gustave Eiffel. Comme la « casa de ferro » (maison de fer), à quelques pâtés de maison, qui devait servir de résidence au gouverneur, mais dont les façades de métal se sont révélées inadaptées au climat tropical. Sans lien non plus, la cathédrale moderne, Notre-Dame de la Concession, construite en 1944, s’érige, immaculée de blancheur, semblant vouloir percer de son clocher la pureté du ciel azur.

Crevettes et piri-piri

Dès que l’on s’éloigne du centre, les lois de l’Afrique reprennent le dessus. Cases et huttes en bambous, maisons en tôle défoncées abritent une vie grouillante et bruyante. Car l’autre désordre, c’est celui de la rue, de son excitation, de son agitation. Sur chaque avenue, des petits vendeurs vous hèlent, essayant de vous vendre tout et n’importe quoi : montres, rasoirs, coton, prises électriques ou même soutiens-gorge. Sans oublier les batiks, ces tissus teints qui égaient les rues de leurs couleurs vives et motifs africains. Les chapas, minibus bondés faisant office de transports en commun, peuvent aussi vous offrir, pour quelques meticais, la monnaie locale, un trajet dans une Maputo sonore qui paraît soudain si vraie et dénuée de clichés. Leur point de ralliement : la Baïxa, ville basse et centre névralgique. C’est entre ces quelques rues, dont les maisons ont abrité les premiers négociants d’or et d’ivoire, que la capitale s’illustre notamment par son dynamisme commercial. À quelques encablures, les habitants discutent les prix des produits au marché central, repaire d’odeurs d’épices et de scènes de vie pour le touriste en quête de « couleur locale ». Les noix de cajou grillées, salées, rougies au piri-piri, le piment vedette s’achètent à des prix défiant toute concurrence. Les crevettes, langoustes et poissons fraîchement pêchés se monnaient âprement. Le port n’est pas loin.

L’antre du poisson frais
Mais le vrai royaume des fruits de mer, le « marché aux poissons » ou « mercado de peixe » exige, lui, une balade en bord de mer. On le découvre sur la route de Costa do Sol, au nord de Maputo, après vingt minutes de marche environ, en longeant la plage. Le dimanche après-midi, des groupes de jeunes Mozambicains jouent au frisbee ou au beach-volley sur le sable blond, avec en fond de décor une rangée de palmiers et de gratte-ciel, dominant une mer aux reflets argent. Pas la peine d’arriver au marché avant 17 h. Car c’est en fin d’après-midi, lorsque le soleil décline déjà, que les pêcheurs reviennent avec le précieux poisson frais. Là aussi, on discute ferme. Le touriste distrait se fera peut-être duper par une marchande filoute qui tentera de lui vendre une langouste congelée. Mais la gouaille des commerçants, derrière leurs étals de bois, ne manquera pas de le charmer. Et pour tester sans attendre sa marchandise, il pourra se livrer aussitôt à une dégustation dans l’une des buvettes adjacentes. Les poissons et fruits de mer y sont en effet grillés, moyennant une contribution pour le service et le couvert. Isaura, mozambicaine de vingt-sept ans et professionnelle du tourisme, considère l’endroit comme le meilleur restaurant de la ville. L’air marin atténue la chaleur ambiante, faisant doublement apprécier la saveur des mets.

Catembe, l’autre rive

Le charme de Maputo tient pour beaucoup à cet océan qui la berce. Afin de mieux l’apprécier, direction Catembe. Situé de l’autre côté de la baie, ce village se révèle une excursion très prisée des citadins le week-end. On y accède par un bac, qui part de l’embarcadère situé dans la Baïxa. Les voitures y sont savamment entassées. Aucun espace ne doit se perdre. À l’arrivée, des dizaines de femmes attendent sur le ponton, leur tête droite supportant sans faillir les bassines de marchandises qu’elles vont transporter en ville. Le plus beau cadeau du village de Catembe, c’est la vue qu’il offre sur Maputo. Celle d’une capitale résolument moderne, dont les immeubles blancs regardent haut vers le ciel. La « New York de l’Afrique », ourlée de cocotiers. Quelques Mozambicaines défilent en maillot de bain sur la plage, sous l’œil amusé des pêcheurs. Nul n’ose se baigner dans une eau que les cargos, régulièrement, traversent. Et le temps passe, sans que l’on y prenne garde. Il faut rester à Catembe le soir. Car le lieu prend alors des airs de fête. Près de l’embarcadère, les Mozambicains se rassemblent autour de cases en bois, où l’on trouve exclusivement de quoi se rafraîchir le gosier. Une bonne occasion de tester la bière locale, la Laurentina, blonde et savoureuse. L’espace réduit d’une maisonnette attenante se transforme en piste de danse. La musique et l’alcool appellent les plus récalcitrants. Il est à peine 20 h.

Maputo, la rieuse

À Maputo, on se lève tôt, mais on peut aussi se coucher tard. Sa vie nocturne particulièrement active est réputée dans la région. Des groupes se produisent régulièrement, en fin de semaine, par exemple à l’Africa Bar et au Gil Vicente Café. Les Mozambicains reprennent alors les paroles des chansons en chœur, comme dans une grande fête populaire ; les corps, évidemment, se déhanchent. Un air de bonheur flotte. Le touriste aussi est invité, sans distinction. On l’a compris, à Maputo, c’est le mélange des genres et c’est tant mieux. L’esprit de la fête se transmet par la musique, mais aussi par les sourires. Personne ici n’en est avare. Et pas seulement les soirs de réjouissance. Maputo est naturellement joviale, et ses habitants facilement accessibles. Il suffit pour s’en convaincre d’engager des conversations, au hasard des rencontres. Vous ne parlez pas portugais ? Essayez l’anglais, l’espagnol ou le langage des signes. À coup sûr, vous gagnerez au moins un sourire, ou un éclat de rire qui vous touchera par sa sincérité.

Des armes œuvres d’art
Et sans devoir parler, il est un lieu à ne pas manquer : le Nucleo de Arte. Cette villa, qui abrite l’association des artistes mozambicains, est régulièrement le théâtre d’expositions. C’est là que l’on découvre surtout un projet étonnant, initié à la fin de la guerre civile par le conseil catholique du Mozambique : les sculpteurs du collectif ont été chargés de transformer les armes qui ont servi à tuer en objets d’art. Résultat : fusils d’assaut et armes de poing ont donné vie à des motos, robots ou autres animaux. Les œuvres ont déjà été présentées dans plusieurs pays du monde, où elles ont reçu un accueil à la hauteur des espérances de leurs concepteurs. Dans un atelier jouxtant l’ancienne maison coloniale, des artistes contemporains, peintres, sculpteurs et plasticiens se retrouvent chaque jour pour travailler, mais aussi refaire le monde. Falcão, vingt-huit ans, est un de ceux-là. Il vient ici tous les jours pour peindre et dit vendre des toiles « de temps en temps ». « Nous avons la chance d’avoir un endroit comme celui-là pour nous exprimer », estime-il. La guerre est toujours là, bien présente. Le sang et la violence reviennent souvent dans les tableaux et l’imagination des artistes. Il faut encore exorciser. Mais Falcão se sent investi d’une mission : « Ici, on ouvre l’esprit des gens ». Et pas seulement celui des Mozambicains.

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